JACQUES BARBEL
Soldat, commerçant, seigneur, greffier, secrétaire de l’intendant Michel Bégon, juge seigneurial et notaire royal, né au Havre-de-Grâce, diocèse de Rouen, vers 1670, fils de Charles Barbel et de Catherine Provost, décédé à Québec, inhumé le 30 juillet 1740 dans l’église des Récollets de cette ville.
Pour rendre un compte exact de l’incroyable activité de Barbel et de son omniprésence dans la région de Québec à partir de 1703, c’est tout un livre qu’il lui faudrait consacrer, bien qu’il mît d’abord un peu de temps à se manifester. Il était bien jeune, il est vrai, à son arrivée dans la colonie, puisqu’il paraît déjà à Québec le 17 novembre 1687, à la signature du contrat de mariage de François Dumas et de Marie de Montmainier. Il était alors sergent de la garnison. Puis il rentre dans l’ombre pour n’en ressortir qu’en 1698, quand il épousa à Beauport, le 5 novembre, Louise-Renée Toupin. Soudain, en 1700, ce fut presque la gloire : le 20 avril, Louis XIV lui-même lui avait délivré une commission de notaire royal à Montréal. Mais, fait plus surprenant encore, Barbel resta à Québec, sans se prévaloir de sa nomination. En 1703, au dire de François-Madeleine-Fortuné Ruette d’Auteuil, il était « domestique » dans les magasins du roi, expression qu’il ne faut toutefois pas prendre au pied de la lettre.
L’année 1703, cependant, chargée d’événements divers, allait marquer un tournant, qui eût pu être funeste, dans la carrière de Barbel. Le 27 janvier, était inhumée sa femme, qui lui laissait trois enfants. Le cadet, âgé de quelques jours, s’éteignit peu après, probablement frappé, comme sa mère, par l’épidémie de petite vérole. Parmi les victimes, fort nombreuses, on comptait Alexandre Peuvret de Gaudarville, dont Barbel « suborna » et « engrossa » la veuve, Marie-Anne Gaultier de Comporté. C’était le scandale : Barbel avait profité de la « consternation » et de la « solitude » d’une veuve, encore mineure. IgnaceJuchereau Duchesnay, beau-frère, de Peuvret, traîna Barbel devant les tribunaux, mais l’affaire alla mourir au greffe du Conseil souverain. Selon Ruette d’Auteuil, Philippe de Rigaud de Vaudreuil, le nouveau gouverneur, protégeait Barbel. De France, des lettres de cachet furent émises contre les deux complices, mais Raudot cette fois en aurait annulé l’effet. Peu avant que cette liaison fût connue, vraisemblablement (bien que Ruette d’Auteuil prétende le contraire), Barbel avait été nommé juge sénéchal de Lauson, le 12 mai (1703), et notaire royal à Québec, le 4 juin. Enfin, oubliant vite ses amours passagères, Barbel se remariait, le 26 novembre, avec Marie-Anne Le Picard. À vrai dire, on en avait vu d’autres dans la colonie, et le scandale fut de courte durée.
Dès sa seconde nomination comme notaire royal, Barbel, qui n’avait fait que deux brèves apparitions, en 1700, devant le Conseil souverain, commença une active carrière de praticien, représentant régulièrement les parties en leur absence, ou les assistant à l’occasion. Lors d’une même séance du conseil, il lui arrivait de mener de front deux ou trois affaires. Souvent opposé au notaire Florent de La Cetière, qui occupait pour la partie adverse, il l’accusait, le 5 décembre 1707, d’avoir agi simultanément, en certaines occasions, pour le défendeur et le demandeur, en plus d’être parfois impliqué dans les mêmes causes en qualité de greffier et de huissier, ce qui se révéla exact. Plusieurs fois Barbel fut tuteur, et plus souvent encore syndic élu ou curateur à des successions vacantes : celles de Charles Aubert de La Chesnaye, de Nicolas Volant, d’Olivier Morel de La Durantaye, entre autres. À ces divers titres, il comparut très souvent devant les tribunaux et conclut de nombreuses transactions.
Juge sénéchal de Lauson, notaire royal et praticien fort en vue de Québec, Barbel s’acheminait vers d’autres fonctions : le 22 août 1712, il était nommé juge bailli de la seigneurie de Beaupré, et, le 27 août suivant, greffier de l’officialité, charge qu’il remplissait toujours en 1725 ; le 15 septembre 1714 et en 1716 encore, il était dit secrétaire de Michel Bégon ; il fut en outre greffier en chef du Conseil supérieur du 8 février 1721 au mois d’octobre 1722, et greffier intérimaire de la Prévôté de Québec du 31 août 1725 au 23 avril 1726, de plus, le 22 juin 1716, Bégon ayant don né commission à Pierre Haimard d’occuper comme procureur du roi en la Prévôté de Québec advenant l’absence du titulaire, Barbel fut lui-même désigné comme substitut de Haimard. Belle carriere judiciaire, en somme, pour un homme qui faillit, en 1703, connaître à ses dépens les rigueurs de la justice !
Barbel fut au surplus marchand, s’occupant de commerce maritime, et seigneur par surcroît. En 1710, il était propriétaire d’un brigantin, le Saint-Antoine, et, en 1719, d’un autre navire, l’Aimable. Peut-être fit-il, pour ses affaires, le voyage de France en 1711–1712, alors qu’il est dit « absent ». Quoi qu’il en soit, et comme tous ses confrères, il avait du mal à recouvrer ses créances, mais de cela il savait bien se venger en ne payant pas ses dettes. Peut-être à la recherche de prestige, il acheta, en deux fois, l’arrière-fief d’Argentenay, dans l’île d’Orléans : de Joseph Perrot, le 10 mars 1716, et de Bertrand Perrot, le 27 mars 1722. Son titre de seigneur ne lui valut guère que des embarras. Dès le 19 octobre 1716, son fief était saisi féodalement par Guillaume Gaillard, seigneur de l’île d’Orléans, et Barbel dut plaider longtemps pour enfin obtenir une mainlevée. Puis, en 1726, des meubles étaient saisis chez lui, et de nouveau en 1728, cette fois par le commerçant Louis Bazil, qui fit aussi mettre aux enchères trois terres du fief, propriétés de Barbel, qui rapportèrent 9954. En 1732, les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu, à leur tour, saisissaient réellement l’arrière-fief, mais Barbel s’en sortit, on ne sait trop comment. Après sa mort, Argentenay fut définitivement adjugé en justice, le 13 octobre 1744, à Pierre Trottier dit Desauniers.
En 1739, Barbel s’était démis de sa charge de juge de la seigneurie de Beaupré, mais avait conservé celle de notaire royal. Il habitait pour lors rue Saint-Louis, dans la maison où mourut Montcalm. Cette maison dut être abandonnée par les siens après sa mort, parce qu’ils étaient incapables de payer les arrérages de rente dont elle était chargée. La succession de Barbel était du reste si obérée que ses héritiers ne l’acceptèrent que sous bénéfice d’inventaire. Barbel laissait sa troisième femme, Marie-Madeleine Amiot, qu’il avait épousée le 22 octobre 1719, et sept enfants des 15 qu’il avait eus de ses deux premiers mariages. Dans son greffe on compta 1 361 minutes, et la seule liste des papiers qu’on trouva chez lui, relatifs à des affaires dont il s’était occupé, remplit 18 cahiers de 24 pages.
Jacques Barbel avait certes beaucoup d’ambition, d’énergie, et une incroyable puissance de travail. Mais, comme dit le proverbe : qui trop embrasse mal étreint.
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